On ne sait pas finalement où commence la vieillesse. D’ailleurs pour certains sociologues comme Bourdieu, la délimitation de la frontière est un enjeu de lutte sociale [1]. On pourrait aller plus loin en disant que la définition même de la vieillesse relève aussi d’un enjeu de lutte sociale, non pas seulement entre des plus jeunes et des plus vieux, mais plutôt entre des institutions différentes qui proposent une lecture propre à leur univers. Et force est de constater que le regard dominant qui est encore aujourd’hui posé sur la vieillesse est celui du médical avec ce prisme du pathologique.
Or les expériences en lien avec cette période de la vie sont multiples et évolutives et ne peuvent être saisies uniquement via le modèle du déclin et de la dépendance. Non seulement, il y a de la différence dans la manière de vivre son vieillissement, mais même lorsque des déficiences liées à l’âge surviennent, même dans ce cas-là, la vie de la personne, ce qu’elle est, ce qu’elle ressent, ne se réduisent pas à cette caractéristique !

Le vieillissement, un processus inégalitaire

L’âge, malgré son apparente objectivité, est en fait un critère social comme un autre de définition de la vieillesse. Il serait même d’autant plus relatif que nous ne vieillissons pas au même rythme. Le vieillissement est un processus biologique très inégalitaire car il repose sur différents paramètres, génétiques bien sûr, mais aussi pour beaucoup environnementaux et comportementaux. Deux individus nés la même année ne présenteront donc pas les mêmes signes du vieillissement, ou autrement dit, n’en connaîtront pas les mêmes effets au même âge, voire il se peut même qu’ils vivent une expérience du vieillissement complètement différente !
 
Plus encore, le vieillissement est un processus non pas uniforme mais qui va toucher de manière différenciée certains organes et certaines cellules. Autrement dit, à l’intérieur de nous-mêmes, toutes les parties de notre corps ne vieillissent pas au même rythme. Cela est vrai de nos cellules biologiques, mais cela est encore plus vrai du ressenti que l’on a de nous. Certaines parties de notre corps peuvent éprouver les effets du vieillissement sans que cela soit en adéquation avec l’âge que l’on a dans notre tête. C’est la dimension subjective de l’âge.

L’image que l’on a de soi ne suit généralement pas le nombre de ses années. On a tendance à se sentir plus jeune que son âge biologique. On peut être une vieille personne aux yeux de certains et pas pour soi. Comme on peut être une vieille personne aux yeux de certains et pas pour d’autres.

Plusieurs grilles de lecture

Vous l’aurez compris, la compréhension de la vieillesse est fuyante car il existe bien des manières de la saisir. Selon la grille de lecture adoptée, nous en aurons une certaine compréhension, mais qui ne sera pas forcément la même partout. Dans une même société, selon le domaine considéré, on n’est pas vieux au même âge, dans le sport, selon le type de sport, dans le monde du travail, selon le type de poste occupé, selon les institutions également, qu’il s’agisse de définir l’âge de départ à la retraite ou l’âge légal pour l'octroi d’une allocation compensatrice pour la perte d’autonomie… Tout cela varie selon le cadre que l’on prend en référence, un cadre non pas naturel, mais construit socialement.

Être vieux, au croisement du biologique, du psychologique et du social

La vieillesse est une sorte d’abstraction où se mêlent différentes réalités, biologique, psychologique et sociale. Aussi, si le vieillissement en tant que processus physiologique participe à faire de nous une vieille personne, il n’en constitue qu’une dimension. D’ailleurs le vieillissement biologique n’est pas propre à la vieillesse, il concerne aussi les plus jeunes sans que les effets ne se fassent sentir avec la même intensité. Et puis nous l’avons vu, notre corps est complexe et ne vit pas uniformément les effets du vieillissement.
 
Plus encore, nous ne sommes pas passifs face à notre vieillissement. Certains de nos comportements vont nous préserver de l’arrivée précoce de certains de ses effets, d’autres vont nous permettre de compenser les effets négatifs du vieillissement sur notre mode de vie.
 
Par ailleurs, être vieux c’est beaucoup dans le regard des autres, dans leurs attitudes à notre égard, mais aussi dans ces petites remarques sur ce qui est de son âge ou pas, de ces invitations à passer à autre chose de plus adaptée pour soi. Ces projections des autres qui disent ce qu’ils pensent de nous, ce sont des grains de sable qui bousculent néanmoins l’image que l’on a de soi. Je ne suis plus apte à conduire, plus apte à séduire, plus apte à choisir…
 
Véronique Cayado, Docteure en Psychologie, Membre de la Société Française de Gériatrie et Gérontologie (SFGG), Membre et Ingénieure de recherche de l’Institut "Oui Care", 

[1] Mauger, G. (2001). “La jeunesse n’est qu’un mot”. A propos d’un entretien avec Pierre Bourdieu. Agora Débats jeunesses, 26, 137-142.