Des prévisions financières dégradées pour le régime de retraite français
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Le 13 juin dernier, le Conseil d’orientation des retraites (COR) a rendu son rapport sur la situation du système français. Les projections sont moins optimistes qu’en 2023 après l’entrée en vigueur de la réforme. En effet, le déficit du régime risque d’atteindre 0,4 % du PIB en 2030, au lieu des -0,2 % initialement prévus. Face à un contexte économique défavorable, il semble que les évolutions réglementaires introduites par le gouvernement d’Élisabeth Borne soient insuffisantes. Explications.
Les comptes du régime de retraite français dans le rouge jusqu’en 2070
Tous les ans, le COR, organe indépendant placé sous l’égide du cabinet du Premier ministre, est tenu de livrer des prévisions actualisées suivant la conjoncture. Son récent rapport montre que la situation empire. En effet, l’an dernier, au lendemain de la réforme des retraites, cette entité de référence composée des partenaires sociaux, des élus et d’experts, annonçait « un déficit de 5,8 milliards d’euros équivalent à 0,2 % du produit intérieur brut (PIB) ». Désormais, il table sur « 0,4 % du PIB à l’horizon 2030, et même 0,8 % du PIB en 2070 ». En comparaison, en 2023, le solde des ressources et dépenses de ce système présentait un écart positif correspondant à 0,1 % du PIB.
Ces conclusions vont ainsi à l’encontre des estimations mises en avant par l’administration Borne pour justifier notamment le report de l’âge légal de départ à 64 ans au lieu de 62 ans. Selon la locataire de Matignon, « la mesure visait à préserver l’équilibre du système par répartition d’ici à 2030 ».
Mais il semble qu’elle ne suffise pas. Les cotisations représentant deux tiers de l’argent qui alimente les caisses du régime, leur montant devrait augmenter en même temps que la durée d’activité. Or, le COR n’anticipe que 385,6 milliards d’euros de ressources pour 2023, soit 13,6 % du PIB. Ce pourcentage devrait encore diminuer, pour s’établir à 12,4 % du PIB en 2070. Ce recul est notamment attribué au ralentissement de la hausse des cotisations des fonctionnaires, dont le salaire est quasiment gelé.
La dégradation des projections du COR est due à une combinaison de facteurs
La dégradation des projections du COR est liée à celle des prévisions macroéconomiques communiquées par l’Exécutif. En mars, Bercy a mis fin à une longue période d’incertitude en publiant le chiffre définitif du déficit budgétaire de la France pour 2023 : -5,5 % du PIB. Ce montant, nettement plus élevé que les -4,9 % anticipés, a conduit le gouvernement à réviser ses estimations pour 2024 de -4,4 % à -5,1 % du PIB.
Par ailleurs, avec un ratio de 13,4 % du PIB, les dépenses de retraite pèsent plus lourd sur le budget national. Ce chiffre devrait atteindre 13,7 % en 2030 avant de redescendre à 13,2 % en 2070 (au lieu de 13,5 % et 13 % respectivement dans le rapport de l’an dernier). Le COR y inclut une revalorisation plus importante que prévu des pensions complémentaires Agirc-Arrco en novembre 2023.
En dépit de la réforme, ces dépenses continueront de croître à un rythme supérieur à celui du PIB dans les années à venir, sous l’effet d’un accroissement du nombre de retraités et du montant moyen des pensions. Toutefois, une fois cet effectif stabilisé, les charges diminueront en proportion de la richesse nationale.
Enfin, l’évolution des méthodes utilisées pour l’édition 2024 de son rapport pourrait avoir une incidence sur ses calculs. Sous l’impulsion de Gilbert Cette, remplaçant de Pierre-Louis Bras, l’institution adopte en effet une approche plus prudente en ce qui concerne les conjectures de croissance.
Quatre scénarios de long terme sont proposés, avec des taux allant de +0,4 % à +1,3 %, ce qui représente une révision à la baisse par rapport aux hypothèses de +0,7 % à +1,6 % retenues pour les éditions précédentes. L’AFP ajoute que « le COR privilégie un scénario de référence avec une croissance de la productivité du travail de +1 %, les autres étant réservées à des études de sensibilité moins approfondies ».
L’IEM critique l’exclusion d’une grande partie des déficits des estimations du COR
Le COR se voit reprocher la sous-estimation des déficits, en raison de l’omission d’une proportion significative depuis 2002.
Une étude de l’Institut économique Molinari (IEM) contredit ainsi les affirmations du Conseil, en annonçant un déficit de 53 milliards d’euros pour les retraites en 2023, équivalant à 1,9 % du PIB, à l’opposé de l’excédent de 3,8 milliards d’euros indiqués par le COR. Selon l’IEM, « l'instance n’a pas considéré 56 milliards d’euros de déficits pour l’année dernière, soit 2 % du PIB ».
Il critique notamment la non-comptabilisation de ceux du secteur public depuis 2002, alors que l’État subventionne plusieurs régimes de retraite : les fonctionnaires civils et militaires, les fonctionnaires locaux et hospitaliers, les agents de la SNCF et de la RATP, ainsi que les ouvriers d’État.
Nicolas Marques, directeur général de l’IEM, estime qu’« il est absurde d’évaluer les déficits des retraites en excluant ceux liés aux fonctionnaires ». Il réclame ainsi une transparence accrue et une révision totale des méthodologies de calcul du COR pour y intégrer les subventions et les déséquilibres des régimes publics. Pour les auteurs de l’analyse, « cette approche permettrait d’obtenir une vision claire de la situation financière des retraites en France et de proposer des solutions plus efficientes pour l’équilibre des finances publiques ».
De son côté, l’instance avance que, « pour que le relèvement de l’âge de départ à la retraite permette de rétablir l’équilibre financier du régime, il faudrait porter le seuil à 64,4 ans en 2030 et 66 ans en 2070 ». Il reste à voir la position des différents acteurs politiques concernant une éventuelle nouvelle réforme à l’approche des législatives anticipées.
Parmi les dépenses supplémentaires à venir, le COR prévoit une hausse du coût moyen des pensions de 0,4 % en 2030, 1,5 % en 2050 et 2,4 % en 2070. Quant aux petites retraites, la réforme a décidé le relèvement du montant plancher à environ 1200 euros (incluant la complémentaire). Le minimum contributif a ainsi été valorisé à 733,03 € brut par mois depuis le 1ᵉʳ janvier 2024, et peut grimper à 876,13 € pour les actifs ayant cotisé au moins 120 trimestres.